Extrait d’article revue Shumeïkan
Bonjour Luc peux-tu nous décrire ta première rencontre avec Tamura Shihan ?
Luc BOUCHAREU : Ma première rencontre avec Maître TAMURA date des années 1977-1978. J’étais depuis peu élève de Jean Paul MOINE. Celui-ci nous proposa très rapidement de profiter de l’enseignement de Maître TAMURA. Les cours se déroulaient au Centre Sportif Universitaire à Aix en Provence le mercredi et le vendredi soir. Lors de mes débuts, Maître TAMURA était absent et remplacé par Claude PELLERIN ou Christian GAYETTI. Le vendredi, Mammy RAHAGA faisait cours. Je me rends compte en l’écrivant de la qualité de l’enseignement que je reçus alors!
Lors de mes débuts, Maître TAMURA arrivait le vendredi pendant la préparation et laissait se dérouler le cours pour travailler avec nous. Débutant, je ne réalisais pas encore la valeur du cadeau qu’il nous faisait en travaillant ainsi parfois assez longuement.
J’avais un grand besoin de me défouler et, tout à l’exercice, je ne me suis rendu compte de la finesse de son enseignement qu’après plusieurs années de pratique à Marignane, Aix-en -Provence, et dans les divers stages.
Je pense que ces premières rencontres ont, inconsciemment, façonné mon étude et mon enseignement. Maître TAMURA était, à ma connaissance, le seul maître à pratiquer avec les élèves quels que soient leur gabarit, leur niveau, leur expérience. Cette manière naturelle d’être avec ses élèves m’a grandement influencé.
L’enseignement d’homme à homme lui apportait certainement beaucoup dans la construction de sa propre technique, il permettait aussi à ses élèves de découvrir « l’œuvre intime » que chacun doit réaliser. C’est dans l’action que résidaient l’exercice, la construction de chacun guidé par un modèle toujours en recherche.
Cette interaction qu’il mettait donc en place en tant que tori ou aïté faisait partie de sa recherche, la nourrissait. Ces répétitions inlassables par adaptation continuelle ont transformé de manière constante sa pratique pour la rendre la plus épurée possible, la plus juste et la plus efficace.
Le concept « Genko Ichi » qu’il avait proposé lors de vœux de fin d’année reflète exactement ce que j’ai ressenti à son contact. « Gen » est la parole, « Ko » est l’action, « Ichi » indique deux choses en concordance. Parole et action ne faisaient donc qu’un.
J’ai vécu de bons moments grâce à Maître TAMURA. Son exigence vis-à-vis de ses élèves n’avait d’égale que celle qu’il s’appliquait à lui-même, mais une grande bienveillance l’animait. Les nombreuses erreurs que je pouvais commettre au moins dans les actes de ma vie d’aïkidoka accompagnateur (des armes mal rangées à l’enthousiasme trop important mis dans la pratique et que certains jo et boken ont subi), étaient vite oubliées. Ces expériences parfois difficiles permettaient de bâtir des personnalités autonomes et c’est cette autonomie que cherchait à développer Maître TAMURA.
Tous les moments d’échange sur le tatami, autour d’une table, tous les conseils qu’il pouvait prodiguer restent ancrés dans ma mémoire et me permettent de prendre du recul sur les évènements de tous les jours.
Il ne faut pas exiger des autres ce que l’on n’exige pas de soi-même. Cette règle morale pourrait résumer l’attitude de Maître TAMURA. De même, envisager l’avenir à partir de cette maxime et de son exemple peut certainement aider à développer notre discipline.
Dans un monde où l’isolement et la méfiance règnent, le partage et la bienveillance peuvent aider à améliorer notre vie dans et hors des dojos. C’est, je crois, le message que l’Aïkido peut délivrer. Construire ensemble n’est pas notre spécificité, du sparring-partner à aïte. Privilégier le chemin sur le but à atteindre n’est pas non plus spécifique à notre pratique.
En revanche conduire de pair ces deux règles fait de l’Aïkido une pratique martiale spécifique où travail physique et recherche mentale ne font qu’un dans tous les moments de la pratique.
Monter sur le tatami comme sur un champ de bataille, polir son corps et son esprit, pratiquer sur le fil du sabre, faire preuve de bienveillance et d’empathie sont nos bases, nos préceptes de pratique et d’enseignement. Il me semble que ceux-ci méritent d’être mis en avant, précisés. Ils favoriseront (peut-être), la renaissance de l’attrait pour notre discipline.